Qu’est-ce qui peut bien relier Carl Gustav Jung et Maître Eckhart, les romantiques et les alchimistes, Ibn ‘Arabi, Hildegarde de Bingen, Michel-Ange, Kepler, Jean Pic de la Mirandole et les autres humanistes de la Renaissance ? Quel est le noyau de ce courant de pensée – le néoplatonisme – qui constitue le trait d’union de ces expressions et visages ? Comment une école philosophique, apparue au IIIe siècle en Méditerranée, a-t-elle pu, à ce point, fertiliser les multiples champs de la spiritualité et de la mystique, des beaux-arts et des belles-lettres, jusqu’à ces nouveaux paradigmes scientifiques qui sont nés au XXe siècle ? Même si Platon est une figure essentielle dans leur conception du monde, les néoplatoniciens prenaient également appui sur Pythagore, Aristote et même Homère. Ainsi, nous voyons se dessiner une méthode de compréhension qui entremêle la raison et l’imagination, une intelligence qui marie concept et intuition, science et art. Plotin, le fondateur de l’école, a proposé une époustouflante lecture du monde, avec cette respiration universelle qui nous fait aller de l’Un à la matière, en passant par l’Intellect et l’Âme. Il y a une écologie dans le néoplatonisme, en même temps qu’une psychologie et une théologie. Mais quelle liberté en son sein ! Ainsi, la théologie néoplatonicienne sera dite « négative », non au sens moral mais au sens mathématique : du divin, on ne peut dire l’essence. La nature de Dieu dépasse la rationalité de nos discours, et projeter sur cette essence nos concepts est stérile. Dieu, dans sa réalité essentielle – l’Un – ne peut être emprisonné dans un discours fait de main d’homme. Il est l’Au-delà de tout, et c’est ce qui donne au dialogue des religions et des traditions toute sa légitimité. Mais le néoplatonisme n’est pas seulement une sagesse transcendantale : l’Un, à travers l’Âme (et notamment l’Âme du monde et l’âme singulière de chacun), se rend présent dans chaque point du réel, à chaque niveau de réalité, de l’infiniment petit à l’infiniment grand.
Écrivain algérien, formateur, chercheur-collaborateur à l’international au Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté de l’Université du Québec à Montréal, Mohammed Taleb enseigne l’écopsychologie et l’histoire de la philosophie à Bruxelles, Genève et Biarritz. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Éloge de l’Âme du monde, avec Michel Cazenave (Entrelacs, 2015), Nature vivante et Âme pacifiée (Arma Artis, 2014), Rabindranath Tagore et le règne de la machine (Le Passager Clandestin, 2021), Routes et lieux-dits de l’Âme du monde. Introduction à une géographie symbolique, radicale et visionnaire (Entrelacs, 2019). Il anime le site internet « Arpenter les Humanités culturelles, sociales et environnementales » : https://www.humanitesecologiques.eu/